Leur procès a donc été reporté. J'aimerais en profiter pour parler aux dizaines de milliers de jeunes gens ayant souhaité broyer le crâne d'une mineure, la lacérer puis l'égorger et la violer avant ou après sa mort. Ils ont envoyé ces messages à Mila. Parmi eux, certains étaient ivres de rage et d'autres n'ont fait que suivre le mouvement. La plupart n'ont même pas pris la peine de vérifier ses propos, alors ils en ont inventé. Des jeunes femmes et des jeunes hommes sans problème, de toute religion ou sans religion ; des étudiants attentionnés aux autres ont publié ces tweets pour se sentir mieux : « Ça m'a fait du bien », disent-ils, retournant ensuite à leurs études. Il aurait été moins effrayant que ce soient des fanatiques ou des délinquants à l'image du prévenu déjà jugé à Agen qui avait mimé un égorgement. Il y a des mineurs aussi.             

J'aimerais pouvoir les convaincre, l'un après l'autre, leur dire qu'ils se sont salis eux-mêmes, que, dans un recoin de leur conscience endormie, les mots atroces qu'ils ont écrits se mettront à les hanter demain ou dans dix ans. Leur dire que leurs messages ne sont pas sans conséquence : ils brisent des vies, des familles, ou conduisent à des suicides. J'aimerais avoir le temps de parler à chacun de leurs parents, car ils n'ont peut-être pas dit à leurs enfants qu'il fallait respecter les êtres humains plutôt que les croyances, et non l'inverse. Je voudrais aussi m'adresser aux hommes et femmes politiques, recteurs d'académie, présidents d'association de parents d'élèves qui, depuis des décennies, n'ont pas osé écrire une petite phrase dans les manuels d'éducation scolaire : nous sommes libres de dire ce que l'on veut de toutes les religions, et c'est la loi de ce pays. En bien gras quand même et avec des points d'exclamation. Quand avons-nous accepté que l'on cesse de l'enseigner ? Quand avons-nous oublié que se crisper sur le « respect » dû à sa religion ou à celle de ses copains mène toujours à la violence ? Cette affaire en est l'une des monstrueuses illustrations. Dieu se défendra bien tout seul, laissez-le faire. Il ne vous a pas mandatés pour vous acharner contre un bouc émissaire et, s'il existe, j'ai du mal à imaginer que cela puisse lui faire plaisir.                                                     

Quand avons-nous accepté qu' une jeune fille victime de lynchage soit exclue du système éducatif parce que l'on ne peut plus assurer sa sécurité. Ainsi, lorsque l'Éducation nationale est confrontée à une preuve flagrante d'échec, cette institution ne change rien, ne se remet nullement en cause et préfère éloigner la victime de cet échec. Ceux qui, dans son lycée, promettaient de la tabasser n'ont, eux, jamais été sanctionnés. Il y aura donc d'autres Mila, à n'en plus finir. Le prix de ces démissions sera élevé.                

Je voudrais désespérément parler à tous et rappeler que, même sur les réseaux sociaux, on n'est pas obligé de commencer l'intégralité de ses tweets par “sale pute” en s'adressant de surcroît à une gosse qui n'a, je le rappelle, enfreint aucune loi. Rappeler aussi qu'un désaccord ne s'exprime pas par des menaces de mort ou de viol. Leur rappeler qu'elle ne leur a absolument rien fait.                

J'aimerais surtout que les prochaines années de cette jeune fille ne soient pas volées, broyées, massacrées comme ces dix-huit derniers mois l'ont été. Que son avenir ne soit pas emmuré par la haine banale et aveugle. Qu'elle ne soit plus obligée de craindre pour sa vie en faisant ses courses, qu'elle puisse elle aussi s'attabler à une terrasse sans dispositif de sécurité, fréquenter ses amis sans qu'ils aient peur d'être à leur tour lynchés, qu'elle retrouve le droit d'aimer qui elle veut et de vivre, tout simplement. Elle vient d'avoir 18 ans, elle ne se plaint jamais. Nous l'avons abandonnée.