Publicité

Conférence sur la sécurité à Munich: «Les Occidentaux auront rendu possible le rêve impérialiste de Poutine»

La vice-présidente américaine, Kamala Harris était présente à la conférence sur la sécurité, le 18 février 2022 à Munich.
La vice-présidente américaine, Kamala Harris était présente à la conférence sur la sécurité, le 18 février 2022 à Munich. Andrew Harnik / POOL / AFP

FIGAROVOX/TRIBUNE - Le 18 février se tenait à Munich une conférence sur la sécurité, en présence du président ukrainien et de la vice-présidente américaine. Les Américains ont méprisé les revendications russes, sans chercher à trouver une issue diplomatique, déplore Pierre Lellouche.

Pierre Lellouche est ancien secrétaire d'État aux affaires européennes et ancien président de l'Assemblée parlementaire de l'Otan.


Les nuages noirs de l'histoire européenne viennent à nouveau de s'abattre sur le destin de l'Ukraine.

Le 29 septembre 1938, Adolf Hitler annonçait son intention de «libérer» les populations allemandes des Sudètes de «l'oppression tchécoslovaque». Quelques jours plus tard, ces territoires, octroyés 20 ans plus tôt à la Tchécoslovaquie par le traité de Saint-Germain-en-Laye, étaient annexés par le Reich, avec le funeste consentement d'Édouard Daladier et de Neville Chamberlain, convoqués pour la circonstance à Munich.

Lundi soir, le 21 février 2022, Vladimir Poutine, après trois mois de bras de fer avec les Occidentaux, décidait d'en finir avec «les lois discriminatoires à l'encontre des russophones d'Ukraine», un pays dont il nie toute légitimité en dehors de la mère Russie.

Exit l'intégrité territoriale d'un État souverain, exit les accords de Minsk qui prévoyaient, avec la garantie de la France et de l'Allemagne, un règlement pacifique du statut du Donbass : place à la guerre.

Pierre Lellouche

Les enclaves séparatistes du Donbass contrôlées par le Kremlin depuis la première guerre de 2014 ,sont désormais officiellement reconnues comme «Républiques Populaires» indépendantes, et le soir même l'armée russe y a fait officiellement son entrée, pour une mission dite de «maintien de la paix». En cas de réaction des autorités de Kiev, considérées elles aussi comme illégitimes, le prétexte sera tout trouvé pour une invasion de la totalité de l'Ukraine, une invasion méthodiquement préparée depuis des mois par le déploiement de 150 000 soldats russes encerclant le pays.

Exit l'intégrité territoriale d'un État souverain, exit les accords de Minsk qui prévoyaient, avec la garantie de la France et de l'Allemagne, un règlement pacifique du statut du Donbass : place à la guerre.

Ironie de l'Histoire, à la veille même du coup de force de Vladimir Poutine, le gratin de l'Otan et vice-présidente des États-Unis en tête, s'étaient réunis à Munich pour y proclamer solennellement leur unité face à une Russie revancharde et autocratique, accusée de menacer d'envahir la jeune démocratie ukrainienne.

L'Ukraine, y avait-on affirmé, conservait pleinement son droit de rejoindre l'Otan. Mais, par une étrange gesticulation, les Américains, tout en hystérisant l'imminence de la guerre, proclamaient à l'avance qu'il n'y prendrait aucune part - sauf par d'éventuelles sanctions économiques… Malgré la plaidoirie passionnée du président ukrainien Zelinsky , également présent à Munich, et salué d'une ovation debout, la vérité crue était que son pays était en fait prié par l'auguste assistance de se battre seul, c'est-à-dire de se préparer à périr pour un principe, celui de la «porte ouverte».

Un principe pourtant notoirement impraticable, chacun ayant conscience du risque de guerre, et ce depuis fort longtemps. Dès 2008 à Bucarest, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel s'étaient opposés, pour cette raison, à l'accession de l'Ukraine et de la Géorgie à l'Otan, que poussait à l'époque Barack Obama. Mais le principe, lui, était resté.

Une porte de sortie diplomatique était pourtant possible : coupler un moratoire sur les futurs élargissements de l'Otan à des négociations sur les armements conventionnels et nucléaires en Europe.

Pierre Lellouche

Et Vladimir Poutine, profitant de la faiblesse des États-Unis après le retrait calamiteux de Kaboul et des divisions internes de l'administration Biden, décida en décembre dernier, d'en finir une bonne fois avec l'élargissement de l'Otan à ses frontières, exigeant que les intérêts de sécurité de la Russie soient enfin entendus par les Occidentaux.

Pendant toutes ces dernières semaines, une porte de sortie diplomatique était pourtant possible : coupler un moratoire sur les futurs élargissements de l'Otan à des négociations sur les armements conventionnels et nucléaires en Europe. Les Ukrainiens conscients du danger hésitèrent. Mais Joe Biden et son Congrès pour une fois unis contre la Russie, ne voulurent pas en entendre parler.

D'ores et déjà, la Russie a empoché la Biélorussie, forcée d' « accueillir » 30.000 soldats russes sur son sol. Elle attend désormais le moindre prétexte venu de Kiev, pour s'emparer de la totalité de l'Ukraine.

Pierre Lellouche

Au final «Munich II» aura donc produit la pire des issues possibles. Bien entendu, tout élargissement ultérieur de l'Otan est mort et enterré. D'ores et déjà, la Russie a empoché la Biélorussie, forcée d'«accueillir» 30.000 soldats russes sur son sol. Elle attend désormais le moindre prétexte venu de Kiev, pour s'emparer de la totalité de l'Ukraine.

En 2014, lors de la phase précédente de cette guerre de 8 ans, Barack Obama avait réagi à l'annexion de la Crimée avec mépris, qualifiant la Russie de simple «puissance régionale». Vladimir Poutine n'a jamais digéré l'insulte.

Ils avaient le choix entre traiter la Russie avec mépris ou coexister pacifiquement avec elle, en respectant ses intérêts légitimes de sécurité, ils récoltent aujourd'hui son mépris à elle, et la disparition annoncée de l'Ukraine. Et peut-être pire, demain.

Faute d'avoir voulu apprendre les leçons de l'Histoire : qu'on ne construit pas la paix en humiliant, ni en s'installant militairement sur les frontières du voisin, alors même que l'on refuse par avance toute confrontation, les Occidentaux, et d'abord les Américains, auront au final permis à Vladimir Poutine de commencer à réaliser son rêve le plus cher : rebâtir l'Empire.

De grâce, Sir Winston, revenez !


À VOIR AUSSI - Ukraine: il existe «une possibilité réelle de guerre en Europe», affirme Kamala Harris

Conférence sur la sécurité à Munich: «Les Occidentaux auront rendu possible le rêve impérialiste de Poutine»

S'ABONNER
Partager

Partager via :

Plus d'options

S'abonner
7 commentaires
  • rene

    le

    les occidentaux ont commis de graves erreurs d appreciation...macron en tete....

  • Au passage

    le

    Le mépris, encore le mépris...qui produit ses ravages. C'est aussi le mode de gouvernement de Macron à l'égard des Français, l'attitude d'Hillary Clinton vis-à-vis des électeurs de Trump... Un contre-sens politique majeur.

À lire aussi

Luc Ferry: «Poutine humilié»

Luc Ferry: «Poutine humilié»

CHRONIQUE - Avec l’attentat perpétré à Moscou, les terroristes ont rappelé à Vladimir Poutine que, aux yeux des islamistes, il reste un Occidental.