Consigny : sommes-nous encore un pays ?

Pour sauver son modèle et sa laïcité, la France doit reprendre confiance en elle, retrouver la prospérité et en finir avec sa machine égalitaire.

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La marche républicaine du 11 janvier, un moment rare d'unité nationale.
La marche républicaine du 11 janvier, un moment rare d'unité nationale. © OnlyFrance/AFP

Temps de lecture : 5 min

Quand les responsables publics ne savent plus à quel saint se vouer, ils s'agrippent à des concepts, dont les définitions ont été posées notamment par Ernest Renan, sans lesquels la politique telle que nous la concevons depuis deux ou trois siècles est impossible. La mondialisation, l'Europe, l'immigration, le déracinement des jeunes posent la question de la pertinence, voire de la survivance, du cadre national. Renan estime que "ce qui constitue une nation (...), c'est d'avoir fait ensemble de grandes choses dans le passé et de vouloir en faire encore dans l'avenir." Plus classiquement, Fustel de Coulanges, cité par Alain Finkielkraut, écrit à propos de la notion de "peuple" : " Les hommes sentent dans leur coeur qu'ils sont un même peuple lorsqu'ils ont une communauté d'idées, d'intérêts, d'affections, de souvenirs et d'espérances."

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À l'heure où beaucoup ne s'estiment pas "Charlie" et où l'on ne cesse d'évoquer le "vivre-ensemble" parce que plus personne, justement, ne veut vivre ensemble, allons-nous encore pouvoir parler "des Français" en général pendant les décennies qui viennent ?

Au lendemain de la marche du 11 janvier dernier, le journal Libération titrait, par-dessus une photo des manifestants : "Nous sommes un peuple". De la part d'un organe plutôt soixante-huitard et sans-frontiériste, l'emploi de cette phrase sans approche négative avait quelque chose de singulier et révélait que, chez les bobos aussi, on avait l'intention de poursuivre l'aventure française, ce qui implique la persistance de la France comme nation et des Français comme peuple.

La laïcité exclut que l'on réprime le blasphème

L'un ne va pas sans l'autre et tous deux, aujourd'hui, sont menacés dans leur existence même. L'approche libérale de l'économie globalisée, d'abord, interdit à la France d'agir comme une nation. En effet si elle le faisait, elle aiderait directement ses entreprises, ce que les règles de l'Union européenne lui interdisent. Si elle le faisait, elle n'accepterait pas que des Chinois achètent l'aéroport de Toulouse. Les Grecs, qui cherchent à recouvrer leur souveraineté, semblent revenir sur la vente du port du Pirée à la Chine. Peut-être le feront-ils au mépris de la loi des contrats, mais pourra-t-on vraiment le leur reprocher ? Qu'est-ce qui reste d'un pays si ses organes vitaux appartiennent à des étrangers ? Qu'est-ce qui reste de la Grèce si elle n'est même plus propriétaire de son principal port, aussi vieux que ses temples ?

Ensuite, l'approche anglo-saxonne de la laïcité et les revendications communautaristes qu'elle autorise contribuent au morcellement du peuple en groupes séparés. Si les Français sont un peuple, l'intégration n'est pas, comme le voudrait l'Union européenne, "un processus dynamique à double sens d'acceptation mutuelle de tous les immigrants et résidents des États membres". Si les Français sont un peuple, l'intégration est un effort fourni par les nouveaux venus pour se fondre dans la collectivité qui les accueille. Celle-ci habite une terre qui a une histoire, une langue magnifique, une culture : on ne rebaptisera pas de noms d'immigrés des rues de villes et de villages comme certains à gauche le réclament (rapport sur l'intégration présenté à Jean-Marc Ayrault le 13 novembre 2013). Notre pays est chrétien depuis deux mille ans et, malgré cela, il a su s'imposer une laïcité intransigeante. Celle-ci exclut que l'on réprime le blasphème : toutes les caricatures, de tout le monde, sont autorisées. Celle-ci exclut aussi, en principe, toute demande commandée par un motif religieux. Pour parler simplement, la laïcité ne consiste pas en une adaptation d'un pays à une religion mais est l'inverse.

Non à la toute-puissance du système bancaire

La Chine, la Russie ou les États-Unis se vivent comme des nations, des peuples et même des empires. Ils ont une ambition hégémonique, comme l'islam salafiste. Chacun à sa manière a la volonté de dominer le monde et donc, d'une certaine façon, de l'asservir, d'en faire l'instrument de sa puissance. C'est naturel. Ce qui n'est pas naturel, c'est que nous ne nous y opposions pas plus vivement, que nous ayons abandonné, en Europe, semblable projet. Si nous restons les bras ballants face aux tentatives d'OPA dont nous faisons l'objet, nous serons effectivement rachetés. Il ne faut pas, comme l'a fait M. Valls, aller à Pékin pour expliquer que tout est à vendre chez nous : il faut créer les conditions, chez nous, d'aller faire des acquisitions chez les autres.

Or cela ne sera pas possible si nous continuons à nous appauvrir : la première exigence, en France, doit être de renouer avec la prospérité. Pour cela, il faut aligner le public sur le privé, baisser massivement les impôts, supprimer une bonne moitié des divers règlements qui étouffent le travail, demander qu'un travail quelconque soit fourni en échange du RSA, j'en passe... Et surtout il faut faire des choix. Par exemple, la BCE injecte, en ce moment même, 1 000 milliards dans l'économie européenne, mais elle passe pour cela par les banques. Que ne finance-t-elle pas directement des travaux, par exemple, ou la recherche scientifique et technologique, que sais-je ? Ne savons-nous tellement plus faire ce genre de chose qu'il faille s'en remettre indéfiniment à des banques qui ont failli nous couler il y a cinq ans à peine ?

En appauvrissant les individus au nom de l'égalité, nous les avons livrés à l'argent étranger. En faisant table rase de la culture française au nom d'une conception excessive de l'hospitalité, nous avons fait coexister deux peuples sur un même territoire qui ne se comprennent ni ne se rencontrent plus. En ne voyant dans l'État qu'une machine redistributive, nous avons abandonné son vieux rôle stratégique dont il nous reste aujourd'hui, par exemple, la plupart des sociétés du CAC 40 qui étaient, à l'origine, des entreprises publiques. En n'étant plus capables de penser que la France est une nation et les Français un peuple, nous avons dissipé tout patriotisme sans rien mettre à la place. Il faut inventer quelque chose de nouveau, un modèle à la fois libéral, pour permettre la prospérité, et assis sur une puissance publique solide, pour rester un pays. Au boulot !

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Commentaires (25)

  • phillonous

    Charles Consigny écrit bien, très bien même, a d'excellentes références pour traiter son sujet, entre autres Finkielkraut (La Défaite de la pensée) et Renan.
    Mais si aujourd'hui le concept de nation en tant que "plébiscite de tous les jours" est toujours vrai, d'autres concepts s'y superposent : celui de supra-nation comme l'Europe avec lequel les exigences du concept de nation doivent maintenant composer et celui de planète qui impose de prendre maintenant en compte les aspirations au bonheur de tous ses habitants : les chinois et les indiens aussi ont droit au bonheur matériel !
    D'autre part, tant que la population d'une nation était relativement homogène vis-à-vis de l'apparence physique dominante et vis-à-vis de la religion ou de la philosophie qui la sous-tendait, pas de problème. Or si la France a fini par accepter et intégrer en quelques décennies (mais pas toujours sans réticences), la différence raciale, elle bute aujourd'hui sur l'intégration de la différence religieuse. Mais ce blocage est essentiellement lié à deux particularismes de notre nation :
    - notre exigence d'assimilation, qui ne peut pourtant se traduire dans aucune loi (qui oserait ordonner qu'on coupe les barbes comme le fit Pierre Le Grand ?),
    - notre aversion pour les religions beaucoup plus développée qu'ailleurs.
    Or si les religions ne doivent pas avoir plus de droits que les autres types de groupes, en vertu de la laïcité, elle ne doit pas non plus en avoir moins !
    L'Etat autorise ainsi toute parole ou dessin blasphèmatoire contre les religieux mais stigmatise voire condamne toute offense du même type contre des valeurs non religieuses mais tout aussi sacrées : la shoah (voir les affaires Dieudonné) et l'antiracisme (voir la condamnation de Minute).
    La France doit donc s'efforcer pour se ressouder en tant que nation, d'accepter l'hétérogénéité religieuse. Et comme pour la race, cela passe par le respect, quitte à trouver un synonyme à blasphème.

  • eolian

    Est que tous les partis sont des partis étatistes. Là où il faudrait moins d'état, on en rajoute une couche plus ou moins épaisse selon la couleur du parti UMP, PS ou FN et n'oublions pas FDG.

  • Aphroditechild

    La France est une grande Dame qui demande à être traitée avec élégance, finesse et surtout respect. Ses valeurs républicaines souvent bafouées, elle traverse une période très difficile à cause de ses dirigeants qui ne pensent qu'à leur égo et qui n'ont aucune connaissance de la véritable diplomatie pour lui rendre ses lettres de noblesses d'antan. Elle passe au sixième rang en puissance du monde après la Grande-Bretagne parce qu'elle s'affaiblit chaque jour un peu plus, érodée par les mensonges et les manipulations de ceux et celles qui la gouvernent, ne mesurant pas sa véritable destruction, la rendant économiquement faible et lui infligeant des traitements dont elle ne mérite pas. F. Hollande a tellement promis, se basant sur l'anti-sarkozysme pour se faire élire par défaut. Il ne propose plus rien de concret, lui et Valls brassent du vent à longueur de journée mais aucune action ne parvient à donner des résultat puisqu'elle n'existe pas. Puisque personne ne désire voir la réalité en face, que les médias se taisent sur la politique actuelle et encensent Hollande pour le mettre en valeur, que Valls se perche comme un coq sur son clocher, nous chante des cocoricos à longueur de journée et que les Français se noient de plus en plus dans le marasme, alors, c'est à se demander non pas si nous sommes encore un pays mais tout simplement où allons-nous nous retrouver dans quelques temps et sur quelle planète ?